Avec Le Passage, Jeff Lemire (Essex County, Sweet Tooth…) et Andrea Sorrentino (Gideon Falls, Primordial…) établissent les fondations de leur univers. Univers ? Oui, car c’est vers cela qu’ils se dirigent avec Le Mythe de l’Ossuaire. Derrière cette appellation étrange, les deux artistes comptent bien proposer à leurs lecteurs une foule de récits auto-conclusifs dont la trame se fait aussi trouble que lugubre. Et c’est Le Passage qui a la lourde tâche de lancer les hostilités.
L’ouvrage présente en premier lieu une histoire courte, celle d’un écrivain qui quitte sa famille pour s’exiler, seul, dans une maison au bord d’un lac. Là, il compte bien consacrer l’ensemble de son temps sur la rédaction de son manuscrit. Seulement, son chien, au deumeurant calme, ne cesse d’aboyer et semble attiré par une autre demeure, laissée à l’abandon, et à l’aura macabre. Cette entrée en matière succinte est des plus intrigantes, bien qu’elle ne fournisse aucune réponse quant à l’horreur qui se cache dans cette nouvelle série de comics.
Le reste du volume se concentre sur Le Passage ; un trou, un puits, déniché par la dénommée Sally, seule habitante d’une île exiguë. L’obscure cavité renferme sa part de mystère puisqu’elle est apparue du jour au lendemain, comme par magie. C’est pourquoi la Société canadienne de géologie décide d’envoyer John Reed, géologue de formation, afin d’enquêter sur ce phénomène.
Que l’on soit fan ou non du genre, Le Passage intrigue dès les premières pages, tout comme c’était le cas avec Gideon Falls. Andrea Sorrentino manie toujours aussi adroitement ses crayons et crée, une fois encore, une atmosphère sombre, avec une prédominance de noir et de gris, parfois teintée de couleur rouge, qui transforme un simple paysage en un panorama inquiétant. Et puis, comme à son habitude, l’artiste persiste à casser la structure de ses planches et à en éclater les cases afin de rendre compte de la folie d’un personnage avec brio. L’originalité est bien un trait caractéristique du dessinateur qui parvient à ajouter sa pierre à l’édifice horrifique imaginé par Lemire.
De son côté, ce dernier développe un scénario intéressant au cours duquel on peut suspecter la présence de forces occultes qui agissent en coulisse. Les inspirations sont lovecraftiennes, par le style et les idées mises en place, mais on retrouve également des références à Poe, ne serait-ce que par la présence de corbeaux. Le tout forme une trame qui devrait réussir à vous plonger dans une ambiance sordide et à faire trembler les lecteurs les moins courageux.
L’histoire est donc plaisante à lire, et il reste bien difficile d’en détacher le regard avant de savoir de quoi il en retourne. C’est d’ailleurs sur ce point que l’on exprimera nos seules critiques envers Le Passage. Très beau, original et envoûtant, le récit déstabilisera certains lecteurs par le manque de réponses qu’il fournit. Lemire l’affirme lui-même : il ne désire pas livrer à ses fans les clés de compréhension de son univers sur un plateau. Tenez-le pour dit : ce comic-book demeurera une lecture frustrante pour ceux qui n’apprécie pas cette façon de faire.
Pourtant, force est de constater que nous ne pouvons que vous conseiller d’acquérir Le Passage. D’abord pour son graphisme puisque le dessin de Sorrentino demeure toujours un pur plaisir pour nos rétines. Ensuite, lire du Lemire, c’est partir à la rencontre de protagonistes élaborés avec finesse, torturés et cachant de sombres secrets au plus profond d’eux-mêmes. Ces secrets forgent ici la base de l’histoire et amèneront l’horreur que tend à développer l’auteur canadien. Autrement dit, Le Passage constitue une belle entrée en matière qui ne marquera pas les annales mais qui atteint aisément son objectif : pousser à la lecture de l’univers du Mythe de l’Ossuaire.
Note : 7/10
R.L.