Les histoires post-apocalyptiques me plaisent énormément. En effet, je ne peux me soustraire à l’irrésistible envie d’acquérir un comic-book qui relate l’histoire de notre monde des dizaines, voire des centaines d’années plus tard. Tout d’abord car je suis un féru de science-fiction. Ensuite parce que ce sont, selon moi, dans ces récits que l’on trouve les situations les plus dramatiques (épidémie, invasion surnaturelle…) et que, confrontés à l’impossible, les hommes changent et laissent parler leurs émotions les plus primaires. Il va sans dire que, dans cet ordre d’idées, des récits comme Crossed, Walking Dead… trônent fièrement au sein de mes étagères.
Et en cherchant ici et là, j’ai pu ajouter de nouveaux comics de ce type à ma collection : les trois volumes de Sweet Tooth édités par Urban Comics. Ceux-ci relatent l’histoire d’un jeune enfant mi-homme mi-animal qui voit le monde qui l’entoure partir en fumée : l’humanité se meurt et seuls les « hybrides » survivent au terrible fléau qui frappe la planète.
Jeff Lemire, cet artiste
Sweet Tooth est l’œuvre de Jeff Lemire (Trillium, Descender). D’ordinaire, ce Canadien n’a la charge que du scénario des comics dont il s’occupe. Mais ce n’est pas le cas ici puisqu’il a aussi dessiné Sweet Tooth, hormis quelques chapitres délégués à Matt Kindt (Rai, Ninjak). Et à ce niveau, l’auteur frappe déjà un grand coup tant le dessin atypique semble avoir été pensé pour cette histoire. Que ce soit l’expression d’une émotion ou un paysage dévasté, tout sonne terriblement « juste ».
En d’autres mots, on doit se vouer à l’évidence : Jeff Lemire a mis à profit le trait parfait pour coller à l’ambiance qu’il dépeint au sein de la série.
Et de l’ambiance, parlons-en. L’histoire prend place dans un futur proche où Gus, un enfant mi-cerf mi-enfant vit avec son père dans une cabane au milieu d’une forêt. Il passe ses journées à apprendre les leçons religieuses enseignées par son paternel, un homme très pieux. Coupé du monde, Gus n’en est pas pour autant malheureux et profite d’une vie paisible jusqu’à la mort de son seul parent. Evénement qui poussera le jeune héros à partir à la découverte du monde.
Le pitch de départ peut donc laisser penser que nous nous trouvons face à une énième histoire de survie comme on en trouve déjà dans de nombreuses séries post-apocalyptiques. Mais il n’en est rien ! Le lecteur comprendra très vite qu’il est en train de lire un scénario riche et profond qui aborde de nombreux thèmes comme l’amitié, le meurtre, l’enfance, le passage à l’âge adulte… Et cela n’est jamais redondant puisque chacune de ces thématiques est évoquée de manière naturelle et s’intègre parfaitement à l’histoire de Sweet Tooth.
D’ailleurs, à aucun moment, l’auteur canadien ne submerge le lecteur de nombreuses lignes de dialogues pour expliquer une situation ou faire passer un message. Au contraire, certaines pages sont vierges de texte ou ne présentent que quelques phylactères succincts. Ce qui ne les rend pas moins prégnantes pour autant, et ce grâce au graphisme qui se suffit à lui-même.
A ce propos, quand les personnages discutent, on a véritablement l’impression que l’auteur s’est tout simplement laissé guider par ses protagonistes : « Je me contente de laisser les personnages parler » déclarait d’ailleurs le principal intéressé lors d’une interview à l’occasion de la sortie du dernier épisode aux USA.
Un chef-d’œuvre plébiscité par le public
Selon Jeff Lemire, l’histoire aurait pu se terminer bien plus tôt. Car, comme pour la plupart des comics, la longévité de Sweet Tooth dépendait fortement de l’intérêt du public. Si les chiffres de vente s’étaient estompés, l’éditeur aurait poussé l’auteur à abréger l’histoire de Gus afin de perdre le moins d’argent possible.
Finalement, ce sont 40 épisodes qui composent Sweet Tooth. 40 numéros au sein desquels le scénariste aura pu développer l’histoire telle qu’il l’entendait. Il y a abordé les nombreux thèmes cités précédemment mais il y a aussi inséré des éléments propres à la religion, l’histoire amérindienne, etc. Et ce sont toutes ces références qui constituent la mythologie de la série et qui ont donné naissance à un scénario très riche.
Vous l’aurez compris, Sweet Tooth fait partie de ces bijoux littéraires dont on ne ressort pas indemne. Le dessin inhabituel, l’ambiance post-apocalyptique, les dialogues précis, le propos touchant et bouleversant, les thèmes abordés, les personnages loin des stéréotypes habituels… Rien n’a été négligé par Jeff Lemire et c’est cela qui a conduit à ce qui mérite aujourd’hui le statut de « chef-d’œuvre ».
Note : 10/10
R.L.