Jeff Lemire est l’un de ces artistes capables de véhiculer tout un panel d’émotions chez son lecteur en quelques cases et quelques phylactères seulement grâce à un ton juste et un dessin si particulier. Pour preuve, il suffira de se pencher sur les incroyables Sweet Tooth, Essex County ou encore Royal City.
Dès son premier roman graphique, Lost Dogs, les dés étaient jetés et témoignaient déjà de la force narrative de l’auteur canadien.
Lost Dogs est un récit brut. Brut pour son dessin qui semble avoir été peint avec un gros pinceau, sans encrage préalable. Brut pour son histoire qui nous rend compte de la haine et de la tristesse qui peuvent trouver racine dans notre société.
Lost Dogs est le témoignage d’un mal-être, celui d’une famille de la campagne qui rejoint la ville le temps d’une journée. La ville, une jungle pour ceux qui ne sauraient l’appréhender, va happer les héros de cette histoire et n’en laisser aucun indemne : laissé pour mort, le père de famille voit sa fille mourir sous ses yeux et sa femme se faire violer…
Après seulement quelques pages, le récit de Lemire prend déjà aux tripes. Dès les premiers instants, le lecteur comprend qu’il n’est pas en présence d’un scénario mielleux où le bien l’emportera sur le mal quoi qu’il arrive.
L’histoire de Lost Dogs est chargée en émotions et on en revient donc aux premières lignes de cette chronique : un scénario brut, puisque rien n’y est édulcoré, et un graphisme tout aussi brut puisque composé uniquement de noir, de rouge et de blanc et où tout trait fait fi d’une relative finesse. Les compositions de ses planches sont, tout comme ses dessins, magnifiques et font partie intégrante des points forts de l’œuvre : avec uniquement 3 couleurs et une structure originale, Lemire parvient à immerger le lecteur dans une atmosphère poignante avec une facilité déconcertante.
Le tout conduit à un récit fort et touchant qui est à conseiller à tous les fans de l’auteur. Non seulement, il témoigne des débuts de l’artiste de Sweet Tooth mais il offre aussi une histoire bouleversante qui marquera les esprits à coup sûr.
Note : 8/10
Un projet « Komics Initiative »
Il faut rendre à César ce qui est à César : sans Komics Initiative (KI), nous n’aurions peut-être jamais eu l’occasion de poser nos yeux sur ce bijou de la littérature. Avec plusieurs projets de financements participatifs à son actif, l’équipe de KI n’aura pas dû attendre bien longtemps avant d’atteindre le palier des 100% pour Lost Dogs.
Concernant le travail éditorial, les lecteurs ne devraient pas y trouver à redire puisque l’objet comprend une interview de Jeff Lemire, une introduction de Tymothy Callahan (auteur et éditeur) et évidemment, la bibliographie de l’artiste canadien.
On regrettera uniquement le manque de suivi (envoi non-recommandé : inimaginable dans le monde des financements participatifs aujourd’hui), un comic-book issu du Free Comics Book Day ou encore un kiosque Marvel aléatoire (un numéro « deux » par exemple) en guise de contrepartie…
Cependant, ne boudons pas notre plaisir et merci à l’équipe pour la sortie de cet immanquable.
R.L.