Dans le paysage éditorial francophone, Akileos tente, tant bien que mal, de se frayer un chemin parmi les grosses écuries que sont notamment Glénat, Delcourt, Urban Comics et Panini Comics. Et si la tâche semblait impossible ou presque, force est de constater que certains des choix éditoriaux de cette modeste maison indépendante ont permis de maintenir le bateau à flot et plus encore. Ainsi, au sein de son catalogue très hétéroclite se côtoient des chef-d’œuvres comme Fear Agent et Secret Show, de très bons récits à l’image de Courtney Crumrin et du Beffroi, et des surprises comme on aimerait en découvrir tous les jours telle que « La Valise » de Gabriel Amalric, Morgane Schmitt Giordano et Diane Ranville.
Dans un univers où un monarque, le Dux, règne d’une main de fer, seule une poignée d’individus ose s’interposer contre la dictature en place. Interposition qui consiste surtout à imprimer des tracts et à faire sortir de la cité ceux qui n’en adoptent pas les règles. Une opération délicate depuis que le Dux a fait bâtir un mur tout autour de la ville pour protéger ses concitoyens des menaces qui sévissent à l’extérieur.
C’est d’ailleurs cette situation qui est à l’origine de cette histoire et surtout, du rôle important de la valise. Propriété d’une bien étrange dame dénommée Cléophée, la valise permet de transporter quiconque en paye le prix. Et ce dernier est de 7 années de vie. Vous désirez passer de l’autre côté du mur le plus discrètement possible ? Quoi de mieux que de disparaître au fond d’une valise grâce à un sortilège ? Bien évidemment, vous n’échapperez pas à votre dette et vous retrouverez donc plus âgé de 7 ans lorsque vous vous extirperez de votre contenant. 7 années qui seront automatiquement octroyées à Cléophée.
Et si tout n’était que recommencement…
Fantastique, par le biais de la valise, le récit offre aussi un haut degré de réalisme au sens où il s’inspire assurément de l’Allemagne d’Hitler. L’équipe créative s’en est réapproprié les symboles et n’a pas hésité à jouer sur les couleurs si chères au régime nazi. Ces petits détails plongent alors le lecteur dans une lecture qui flirte par moment avec l’Histoire, celle avec un grand « H ».
Un plongeon qui ne sera pas aisé pour tous, la faute à un graphisme numérique parfois trop géométrique et froid. Pourtant, l’univers qui se dessine peu à peu parvient tout de même à ses fins : envoûter le lecteur. D’abord, grâce aux couleurs qui sont à l’origine d’une atmosphère digne de ce nom, et ensuite parce que derrière cette histoire de valise et de sorts se cache une remise en question intelligente de notre société, des grands événements historiques qui se reproduisent encore et encore et des luttes de pouvoir qui conduisent nos leaders à faire passer leur ego avant toute autre chose.
Le côté fantastique et les interrogations matures disséminées par l’auteure s’entremêlent avec brio mais s’achèvent sur une conclusion quelque peu décevante et qui n’est malheureusement pas compensée par un épilogue à la hauteur du récit qui l’a vu naître.
Néanmoins, lire « La Valise », c’est comme prendre part à sa routine quotidienne et s’apercevoir, qu’en fin de compte, la routine a cédé la place à la nouveauté. Tout commence simplement et sur une impression de déjà-vu : un récit fantastique dans un univers régi par une dictature. Ce n’est qu’ensuite, en quelques pages seulement, que la magie opère. Le lecteur est alors happé dans un captivant récit fantastique qui choisit de mettre en exergue la façon dont les sociétés répètent toujours les mêmes cycles. S’il n’est pas exempt de défaut, le roman graphique « La Valise » fait partie de ces découvertes que l’on sera heureux de relire de temps à autre.
Note : 8/10
R.L.