Le nom de Simon Spurrier ne vous dit peut-être rien, pourtant, ce scénariste jouit déjà d’une belle réputation. Et si cet auteur britannique s’est surtout forgé un nom dans le monde des comics grâce à plusieurs séries X-Men qu’il a scénarisées, c’est Crossed + 100 qui, pour ma part, m’a permis de découvrir son travail.
Pour la petite histoire, sachez que je suis un grand fan d’un autre auteur, le célèbre Alan Moore à qui l’on doit V pour Vendetta, Watchmen, Killing Joke… et Crossed + 100, du moins, le premier volume/arc. Pour le second, il a passé le relais à Simon Spurrier tout en précisant à ce dernier la direction à prendre par la suite.
Ne connaissant pas, à l’époque, ce Simon Spurrier, j’ai éprouvé quelques craintes concernant cette série horrifique à laquelle j’accrochais. Et à ma grande surprise, je fus littéralement absorbé par un récit qui aurait pu, dans une certaine mesure, être l’oeuvre d’Alan Moore lui-même !
Inutile de vous préciser que, lorsqu’Akileos annonça la sortie du comic-book « Le Beffroi » de Spurrier, il ne me fallut pas beaucoup de temps pour me décider à lire ledit livre.
Un comic-book rafraîchissant !
Le Beffroi, c’est une ville, une ville construite en étages à la manière d’une tour. Les pauvres, les démunis, les « mal classés »… ne vivent pas aux mêmes étages que les riches, les puissants et les nobles. Et les différences qui séparent les couches sociales ne s’arrêtent pas là puisqu’à ces groupes sociaux humains vient s’ajouter celui des « sculptés ». Derrière ce nom, on retrouve des hybrides modifiés génétiquement, soit des créatures de tous types. Autrement dit, tout ce qui n’est pas 100% humain.
Et l’histoire qui prend place au milieu de ces couches sociales nous emmène au cœur d’une enquête, celle de Sha, capitaine de la garde urbaine décriée par certains à cause de sa nature de sculptée.
Dès les premières pages, « Le Beffroi » étonne. Que ce soit au travers du contexte dans lequel prend place le scénario ou encore via l’enquête menée par l’héroïne, de nombreux éléments novateurs contribuent à la réussite de ce comic-book et ce, même si certains lecteurs auront sans doute remarqué des similitudes avec d’autres récits, notamment en ce qui concerne le concept de « tour » dans laquelle évoluent les personnages (exemple : le manga Blame! de Tsutomu Nihei). Spurrier a donc le bon goût de reprendre quelques concepts déjà vus et de les enrichir avec d’autres idées de son cru pour réaliser quelque chose d’unique.
Pour preuve, la vie ne s’arrête pas au Beffroi dans ce récit. Si la majorité de la population y vit, le lecteur découvrira rapidement que d’autres personnes sont recluses hors de la cité. Certaines des peuplades concernées ont accepté cet état de fait et estiment être asservies par la noblesse du Beffroi tandis que d’autres, vouant une haine sans limite aux sculptés, s’insurgent contre la politique de la tour qui est de laisser ces hybrides vagabonder au sein de cette dernière. On comprend alors rapidement que le Beffroi n’est qu’un prétexte pour créer un fantastique vivier de différences sociales où chacun doit se battre ou se contenter d’accepter la place qui lui est imposée.
En clair, les thèmes comme celui du racisme, de l’identité, de la vie en société, sont au centre de ce récit d’heroic fantasy. Et chacun d’eux fait, en quelque sorte, écho à ce qui existe dans notre monde réel. En d’autres termes, là où une première lecture ferait passer « Le Beffroi » pour une histoire de meurtres, de conspiration et d’aventures prenant place dans un monde fantastique, une deuxième lecture poussera inexorablement le lecteur à la réflexion sur notre système sociétal et le racisme qui en découle.
C’est donc au milieu de cet univers original que Sha devra élucider une série de meurtres. Nous ne vous en dirons pas beaucoup plus à ce propos afin de ne pas vous gâcher la surprise. Sachez tout de même qu’il n’est pas question d’une « simple » enquête criminelle et qu’au contraire, ces homicides sont liés, eux aussi, à la hiérarchie imposée dans le Beffroi.
Ce comic-book dévoile donc de nombreuses qualités. Pourtant, il n’est pas dénué de défauts. Tout d’abord, si le dessin de Jeff Stokely colle assez bien à l’univers imaginé par Spurrier, certaines planches manquent malheureusement de détails. Sans parler de son style qui devrait en déstabiliser plus d’un.
Quant aux autres faiblesses du titre, elles se concentrent dans l’introduction. A cet égard, même si le premier meurtre est découvert assez rapidement, il faudra s’accrocher lors des premières pages qui présentent un méli-mélo d’informations qu’il faudra ingurgiter au plus vite afin de comprendre l’univers dans lequel nous nous trouvons.
Malgré cela, il faut bien l’admettre, Simon Spurrier et Jeff Stokely gratifient les férus d’heroic fantasy d’une belle oeuvre. Le contexte social, le scénario en tant que tel et la hiérarchie de la société dans le Beffroi sont autant d’éléments appréciables qui font de ce récit un très bon comic-book. On en viendrait presque à espérer une suite pour ce One Shot.
Note : 8/10
R.L.