Rick Remender peut être considéré, à juste titre, comme un véritable génie pour son talent d’écriture qui lui permet d’écrire des scénarios originaux, captivants et surtout, dénués de temps mort. Prenons l’exemple de Fear Agent, un monument des comics dédié à la science-fiction. Dans cette saga épique, on retrouve tous les ingrédients qui font d’une série, un chef-d’œuvre : de l’action bien dosée, une aventure envoûtante, des personnages hauts en couleur et surtout, le style si personnel de Remender.
Son style, ou plutôt son schéma scénaristique particulier, se répète dans chacune de ses histoires : il est question d’un héros masculin ou féminin qui, qui qu’il soit, doit être prêt à vivre des heures bien sombres. En effet, ses personnages sont orphelins, veufs, alcooliques, blessés, torturés et même, régulièrement tués ! Pourtant, l’auteur réussit régulièrement à nous immerger dans des séries où l’on finit, bien malgré nous, à s’attacher à des protagonistes dont on sait qu’il ne leur arrivera rien de bon, ou presque.
C’est encore le cas avec Deadly Class. Dans cette série, on suit les aventures de Marcus Lopez, un fils d’immigrés qui a perdu sa famille (et oui, encore et toujours…) et est devenu par la force des choses un SDF. Malgré sa situation peu enviable, sa vie connaît un revirement lorsqu’il entre à Kings Dominion, une académie qui forme ses aspirants à devenir des assassins professionnels. Sur les bancs d’écoles, Marcus côtoie fils et filles de célèbres mafieux, de clans et gangs latinos, de chefs yakuzas, de sectes et regroupements à l’idéologie nazie… C’est donc une joyeuse assemblée qui se rassemble quotidiennement devant des professeurs au passé tout aussi obscur.
Au milieu de ce méli-mélo de personnalités sanguinaires, Marcus parvient tout de même à établir le contact avec certains étudiants de première année et voit son train de vie changer du tout au tout. Entre les cours d’assassinats, les virées entre potes saupoudrées de drogues et les convocations chez le directeur, Remender ne laisse pas à son héros une once de répit et l’envoie pour ainsi dire à l’abattoir. Car, comme l’on pouvait s’en douter (sans spoilers : vous pouvez continuer votre lecture) Marcus n’a pas la vie facile dans ce bahut. Certains de ses amis sont tués, d’anciennes connaissances refont surface avec des motifs de vengeance, etc. Remender prend encore une fois un malin plaisir à faire souffrir ses personnages et, dans le même temps, il parvient à insuffler une énergie folle dans ses chapitres à tel point que sa trame scénaristique gagne en épaisseur au fil des pages. Evidemment, les protagonistes constituent la pierre angulaire de ce scénario fourni et riche en rebondissements.
Néanmoins, pour qualifier une série de « bonne » série, le scénario ne suffit pas. Les dessins ont également leur rôle à jouer et à ce niveau, Deadly Class n’a rien à envier à la concurrence.
Artiste peu reconnu avant la sortie de Deadly Class, Wes Craig réalise un travail fabuleux sur la série de Rick Remender. Tantôt avec les cases, tantôt avec une planche complète, l’artiste adore jouer avec ce qu’il a sous la main. Par exemple, il compose certaines pages d’une colonne de cases, colonne qu’il choisit de placer au centre de la planche, pour l’entourer à droite et à gauche du texte de la voix off. Une construction peu commune et qui s’intègre parfaitement au récit. Et ce n’est là que l’une de ses idées originales. On se délecte véritablement devant ses compositions qui réussissent à nous surprendre et surtout, à happer notre regard ébahi durant plusieurs instants. Mention spéciale aux passages durant lesquels Marcus prend de la drogue et où Craig déforme tout ce qu’il dessine pour créer une séquence psychédélique du plus bel effet ! Sans oublier la palette de couleurs choisie par Lee Loughridge qui couronne comme il se doit les magnifiques planches réalisées par le dessinateur.
Et puis, vinrent les tomes 5 et 6
Déjà 6 volumes ont été publiés en version française chez Urban Comics. Les personnages s’accumulent mais sont toujours présentés en détail et le scénario, quant à lui, reste fidèle aux idées de Remender : des personnages torturés vivant des événements dramatiques, tragiques et sanglants. Pourtant, l’auteur finit bien malgré lui par se perdre de page en page.
Toujours sans spoilers, sachez que les 4 premiers tomes sont de véritables must have pour tous les fans du scénariste. Par la suite, ce constat évolue dans la mauvaise direction.
Après son premier arc, Remender change diamétralement sa vision et choisit de se pencher sur d’autres protagonistes que les héros que nous avions pris l’habitude de suivre depuis le premier tome. Si l’idée n’était a priori pas mauvaise, elle semble moins prometteuse une fois couchée sur le papier. Remender paraît moins à l’aise avec ses nouveaux personnages et produit une nouvelle histoire qui peine à retrouver son rythme. Si le récit n’en devient pas pour autant mauvais, cette partie dénote tout de même avec le reste. Surtout en comparaison des autres comics d’un scénariste qui nous avait habitués à des récits filant à 100 à l’heure.
A ce propos, le sixième volume sorti à la fin de ce mois de mars ne fait que renforcer cette idée. Alors que certains des nouveaux « héros » bénéficient de tout le talent du scénariste, d’autres ressemblent un peu trop à des élèves de Kings Dominion déjà rencontrés ou ne présentent que des personnalités stéréotypées.
Et, malheureusement, ce n’est pas tout. Autre reproche souvent formulé à l’encontre de Remender : son objectif final. Dans le tout premier chapitre, Marcus remettait la faute de sa condition de SDF et d’orphelin sur le Président des USA, Ronald Reagan, et il avait pour ambition de tuer ce dernier. Désormais, cette motivation n’est plus à l’ordre du jour et a été noyée dans un flot impressionnant de péripéties. En d’autres mots, chaque chapitre devient un nouvel événement et présente ses propres ramifications et conséquences à l’image d’une série télévisée dont chaque épisode serait autonome et comprendrait un début, un milieu et une fin. Ce n’est pas exactement ce que nous propose Remender – puisque les différents actes s’étalent parfois sur plusieurs épisodes – mais nous n’en sommes pas loin.
Il devient alors impossible de savoir où va le scénario. Déstabilisant, le procédé n’était pas contraignant au cours des premiers volumes puisque – encore une fois grâce à des péripéties originales, un rythme effréné et des protagonistes tourmentés – la formule fonctionnait. Ce qui n’est plus le cas depuis le changement de personnages ayant entraîné une perte de rythme.
Dès lors, nous n’avons plus qu’un espoir : que cette série qui partait sur les chapeaux de roue retrouve ses lettres de noblesse avec des personnages forts. Le cliffhanger placé en fin du tome 8 nous laisse espérer un nouveau départ. Cela sera-t-il le cas ? A Remender d’en décider.
R.L.