Depuis quelque temps, j’avais choisi de rejoindre les rangs des détracteurs de Mark Millar, cet auteur créatif qui, à maintes reprises, donne l’impression de privilégier l’adaptation de ses récits en films au détriment de la qualité du comic-book concerné. Et même si ses histoires méritent que l’on y prête attention, on ne peut que regretter l’absence de profondeur de ses personnages ou encore une prédominance de l’action pure et dure aux dépens d’un scénario qui n’a pas le temps de s’épaissir. Chrononauts en est d’ailleurs un parfait exemple comme vous pouvez le lire ici.
Il y a peu, je me suis tout de même laissé à nouveau tenter par un comic-book de l’auteur écossais, à savoir Jupiter’s Legacy dont j’avais entendu beaucoup de bien.
On y découvre une bande de jeunes qui obtient des super-pouvoirs : jusqu’ici, rien de neuf sous le soleil. C’est ensuite que l’auteur nous a véritablement gâtés ! Voyez plutôt : grâce à leurs nouvelles capacités, ces super-héros ont permis au pays de l’Oncle Sam de sortir de la guerre (40-45) et de retomber sur ses pieds après cette période néfaste pour le monde. Mais après cette heure de gloire, Utopian, le chef de file de ces nouveaux héros, insiste : le rôle des siens se limite à des interventions musclées contre de potentielles menaces. Autrement dit, il refuse que l’un de ses comparses ne se mêle de la politique des USA. Evidemment, tous les surhommes ne sont pas du même avis : certains grands esprits du groupe d’Utopian n’hésitant pas à remettre en question les décisions des dirigeants américains.
Et puis, apparaît une nouvelle génération de super-héros qui n’a pas les mêmes aspirations que ses parents puisqu’elle préfère profiter de la vie (drogue, alcool et fête) tout en attendant, elle aussi, son heure de gloire.
La crise économique, l’ennemi de toujours !
Autant dire que ma surprise fut de taille lorsque je me rendis compte que Millar mêlait super-héros et politique économique au sein d’une même trame narrative. Précisons tout de même que si le récit se veut actuel en misant sur une problématique qui sévit toujours, la crise économique, force est de constater qu’il ne fait qu’effleurer cette thématique.
Et finalement, c’est tant mieux ! Millar réussit à ne pas étouffer son récit avec des stratégies politiques complexes tout en ne sombrant pas dans l’autre extrême qui consiste à proposer de l’action à outrance. On a véritablement l’impression que l’auteur a écouté ses fans et a pris le temps de poser les bases d’une intrigue mature tout en y incorporant quelques belles scènes d’action dont il a le secret.
Non seulement il fait la part belle à ses personnages et développe les querelles intergénérationnelles qui peuvent découler entre des enfants et leurs parents mais en plus, il y insère une réflexion sur le capitalisme. Et les bonnes idées de ce premier volume ne s’arrêtent pas là.
Pour le démontrer, mettons en exergue l’antagoniste de Jupiter’s Legacy. Dans les faits, on ne retrouve pas de véritable bad guy dans ce premier volume. Autrement dit, la situation n’est ni toute blanche, ni toute noire : chacun, ou presque, veut améliorer le monde à sa manière et aucune solution n’est parfaite, au contraire. Comme le dit si bien le proverbe : l’enfer est pavé de bonnes intentions. On observe alors une lutte intestine entre super-héros sur fond de politique qui rappelle sans conteste certaines formes de dictature où, des dirigeants autoritaires, souhaitaient imposer leur vision coûte que coûte.
Et tout ce récit est magnifié par le graphisme de Frank Quitely. Mark Millar a toujours eu le don de s’entourer de grands noms des comics et c’est encore une fois le cas ! A cet égard, même si le trait d’un artiste comme Frank Quitely ne fait pas l’unanimité, il est évident que son duo avec Millar porte ses fruits ! Pour ce premier tome de Jupiter’s Legacy, le style de l’artiste se combine assez justement avec les idées de l’Ecossais et jamais, on n’en vient à espérer qu’un autre dessinateur ne prenne la relève tant combats et scènes de dialogues sont maîtrisés.
Jupiter’s Legacy représente donc ce que l’on était en droit d’attendre d’un scénariste comme Mark Millar au top de sa forme : un récit d’envergure qui prend le temps de poser ses fondations et de nous faire découvrir des personnages aux intérêts divergents. Pour couronner le tout, ce premier tome est ancré dans une problématique actuelle et est accompagné des fabuleux dessins de Quitely. Pour terminer, si je n’avais qu’un conseil à donner, ça serait celui-ci : que vous soyez réfractaire ou non au style de Mark Millar, laissez-vous tenter par Jupiter’s Legacy afin de vous rendre compte de ce dont est réellement capable cet auteur qui, à certaines occasions, rappelle pourquoi tant de lecteurs le placent sur un piédestal.
Note : 8/10
R.L.