La deuxième guerre mondiale, comme d’autres périodes historiques, fait partie de ces pans de l’Histoire difficiles à mettre en images. Tout d’abord, car le propos en question est dur, ensuite, car nombreux sont ceux qui ont déjà relaté ces événements au travers de bien des médias culturels différents. Les artistes qui choisissent tout de même de s’y aventurer doivent donc faire preuve d’originalité et parvenir, dans le même temps, à offrir un témoignage fidèle tout en ne sombrant pas dans la simple et pure énumération visuelle d’horreurs…
En ce qui concerne la bande dessinée, on se doit, par exemple, de citer Maus. Dure, cruelle mais surtout, émouvante et captivante, l’œuvre d’Art Spiegelman mérite le détour à plus d’un égard. Et si, bien rares sont les écrits égalant un tel monument de la BD, force est de constater que d’autres ne doivent pas pour autant rougir de leur prestation. C’est le cas du roman graphique chroniqué dans ces lignes : Seules à Berlin.
L’originalité de l’écrit saute aux yeux : oubliez l’armée américaine ou tout autre figure masculine pouvant faire office de héros. Ici, les principaux protagonistes sont des femmes et pas n’importe quelles femmes. Ingrid, femme de SS, est allemande et voit son quotidien bouleversé suite à la défaite d’Hitler. Vivant désormais dans une cave, retranchée avec d’autres citoyens allemands, elle attend que les « barbares russes » débarquent… Dans le même temps, Evgeniya arrive à Berlin avec ses compatriotes moscovites. En tant qu’interprète, elle participe aux interrogatoires, afin de découvrir où se trouve le corps du Führer, et à la retranscription de documents dans le but de comprendre la culture du pays où elle se trouve.
Ces deux femmes qui, précisons-le, ont réellement existé, n’ont pas vécu cette histoire ô combien tragique puisqu’il s’agit bel et bien d’une fiction.
Evgeniya découvre un Berlin ravagé par la guerre. Un Berlin où les rares survivantes ne sont considérées que comme de la chair à canon. Un Berlin où la seule couleur qui prédomine est le gris… Quant à Ingrid, elle voit chaque moment se transformer en véritable leçon de survie depuis qu’elle est passée du statut d’épouse de SS appréciée et respectée à celui de femme violée et battue.
Ces deux personnages, par la force des choses, se retrouveront à cohabiter. L’une apprenant de l’autre, chacune tentant d’ouvrir les yeux de sa colocataire sur la propagande de son propre pays. Deux témoignages s’affrontant, se complétant et profitant d’une mise-en-scène minutieuse. En effet, le découpage des cases et le dessin n’auraient pu être mieux pensés et participent au succès du récit. On ressent chaque horreur de la guerre au travers des expressions de visages et, la ville, théâtre de l’action, ne nous a jamais parue aussi… terne. Volonté de l’auteur qui a d’ailleurs choisi de transformer la capitale allemande en un océan de gris.
La conclusion à tirer est assez simple. Seules à Berlin fait partie de ces écrits qui ne laisseront aucun lecteur indemne. La rudesse du propos y est évidemment pour quelque chose. Mais pas seulement. Dans ce roman graphique, on découvre deux femmes qui permettent à l’auteur de décrire des quotidiens bien rarement mis en exergue dans ce type de médium. La narration de ces vies, tout comme le découpage, le rythme et le parti pris graphique, celui de jouer avec des nuances de gris de la première à la dernière page, font de Seules à Berlin, l’une des belles sorties de ce mois de mars. Touchante, émouvante, historique, originale… et on en passe.
Note : 8/10
R.L.