Cliff Chiang (Paper Girls, Wonder Woman) tenait à écrire une histoire nouvelle, hors-continuité. Et pour ce faire, il a choisi d’orchestrer, de réaliser, de déterminer lui-même chaque pièce de son récit. Dans Lonely City, le monsieur est donc à créditer comme dessinateur, scénariste, coloriste et on le retrouve même au lettrage (dans la version originale de ce comic-book).
De là à parler de chef-d’œuvre, encore faut-il que tous les éléments constitutifs de cette histoire s’emboitent parfaitement les uns dans les autres. Verdict?
Des personnages ridés, fatigués mais développés !
Dès l’entame, on découvre une Catwoman, plus âgée que d’habitude, qui sort de prison. En effet, dix ans plus tôt, un mystérieux événement a mis fin aux vies de Bruce Wayne et de Jim Gordon. Selina Kyle s’est retrouvée inculpée et fut condamnée à la réclusion.
Cette sortie de prison est un prétexte pour nous montrer Gotham, une cité qui s’est transformée, tout comme ses habitants parmi lesquels des têtes bien connues des lecteurs. Si l’on ne vous dira rien sur l’évolution des principaux protagonistes, on félicitera tout de même l’artiste pour son originalité. Dans Lonely City, on découvre sa vision personnelle et elle fourmille d’idées harmonieuses. Certaines déplairont (comme la nouvelle vie attribuée à Killer Croc, au même titre que son physique, qui change drastiquement notre façon d’appréhender ce super-vilain) mais toutes iront dans le sens du récit : réinventer le futur de Gotham.
Et c’est là qu’est le coup de maître. Le scénario est cohérent et c’est avec un immense plaisir que l’on rencontre, au fil des pages, des méchants et d’anciens alliés de Batman. Un sentiment nostalgique, presque semblable à celui ressenti lorsqu’on découvrait The Dark Knight Returns, accompagnera beaucoup de lecteurs pendant leur lecture.
À cela s’ajoute une bonne dose de suspense pour notre plus grand plaisir. D’une part, on se demande si Catwoman est toujours « dans le coup », si elle va se ranger ou, au contraire, opter pour la voie du banditisme. La femme-chat est savamment développée, et représente une version aboutie d’une personnalité travaillée. Et puis, surtout, on ne cesse de s’interroger sur ce fameux jour qui a vu Batman périr. Pas d’inquiétude néanmoins : toutes ces questions trouveront leurs réponses et de bien belle façon. Et comme si cela ne suffisait pas, il y a le mystère entourant le dernier mot de Bruce avant de mourir : « Orpheus ». Un mystère que l’héroïne se vouera à percer.
La trame présente également une critique de la société et de ses moyens de répression du crime. Dans Lonely City, Batman n’est plus, tout comme son équipe, et a été remplacé par des forces de police ultra-équipées. Celles-ci peuvent scanner tout individu grâce à un pass identitaire obligatoire pour chacun. Une réflexion certes intéressante mais, on en conviendra, déjà vue et revue, et parfois de façon plus originale et maîtrisée. Sans pour autant affaiblir la qualité du récit, cette idée reste trop peu exploitée. Toujours au rang des déceptions, certaines relations entre personnages sont quelque peu téléphonées et aboutissent trop rapidement à leur conclusion. D’ailleurs, la conclusion du récit elle-même manque d’un petit quelque chose pour se mettre au diapason du chemin qui a permis d’y parvenir. Rien de très grave, bien que dommage.
Quant aux dessins, ils sont de belle facture et propres à Cliff Chiang dont le style est assez singulier. La mise en scène peut se montrer dynamique au besoin et les personnages sont facilement reconnaissables. On se plait d’ailleurs à admirer les traits vieillis de Barbara Gordon, de Catwoman et d’autres.
En bref, ce Catwoman – Lonely City est une belle surprise que vous pourrez retrouver dans la collection Black Label d’Urban Comics. Ce comic-book est une valeur sûre et ce, pour les raisons énumérées plus haut. L’écriture de Cliff Chiang propose une Selina Kyle à la personnalité subtile et touchante, des protagonistes tout aussi intéressants et une histoire bien orchestrée. Dès lors, il est d’autant plus regrettable que la fin, la réflexion portée sur la société et quelques menus détails ne viennent gâcher ce presque sans-faute. Il ne manquait vraiment pas grand chose à ce récit pour le voir se hisser au rang des incontournables.
Note: 9/10
R.L.