Si vous ne connaissez pas les Inhumains, ces êtres divins vivants sur Terre, on peut difficilement vous le reprocher. Entre le peu de comics en version française et de qualité disponibles en librairie et la série télévisée annulée, l’offre concernant les Inhumains reste bien faible.
Pourtant, parmi les quelques récits en vente, on remarque une éclaircie dans la grisaille dénommée : Inhumans : Tour d’Ivoire. Une œuvre majeure que l’on doit à Paul Jenkins, un auteur talentueux déjà entrevu sur Wolverine : Les Origines mais également sur des épisodes de Spawn ou encore de Spiderman. Et puis, aux dessins, c’est Jae Lee (La Tour Sombre, Before Watchmen : Ozymandias), un artiste complet au style très particulier et habitué aux ambiances sombres qui livre, ici, l’un de ses meilleurs travaux. Voici donc le duo artistique à la tête de la barque des Inhumains pour le récit Tour d’Ivoire.
Une belle introduction aux Inhumains
Le comic-book dont il est question ici est emblématique. D’une part, car il constitue une excellente histoire, d’autre part, car il est accessible au plus grand nombre que vous ayez, ou non, déjà lu des épisodes dédiés à ces héros.
On découvre ainsi la famille régnante à Attilan, celle de Flèche Noire, un être quasi divin dont la force principale réside dans la voix. Un simple de ses murmures pourrait désintégrer une nation entière. Dès lors, le fardeau n’en est que plus grand : ne pas prononcer un mot sous peine de tuer ses proches. Ce pouvoir, il le tire, comme tous ses citoyens, de la brume tératogène : un catalyseur par lequel chaque habitant de la cité se voit doter d’une mutation.
Mais revenons-en à Flèche Noire. Si l’obligation de se taire est, évidemment, une contrainte lorsqu’il s’agit de gouverner, elle constitue surtout la principale caractéristique d’un être que rien ne semble atteindre. Mystérieux, charismatique, imposant… le Roi d’Attilan doit être prêt à contrer toutes les menaces qui pourraient mettre son peuple en danger. Entre son frère avide de pouvoir, télékinésiste et mis aux fers pour une tentative de coup d’Etat, et des politiciens craintifs devant un peuple dont ils ne savent rien, Flèche noire doit aussi composer avec les membres de la Famille Royale. Sa cour s’inquiétant de la dernière décision en date de son souverain : celui-ci ayant décidé à la surprise générale de se murer dans le silence et de ne pas contre-attaquer lorsqu’une armée de mercenaires tente de prendre d’assaut le dôme protecteur qui englobe Attilan.
Original, fort, intrigant, ce scénario embarque très vite le lecteur dans un récit des plus intelligents comme on aime en lire par palette. Que ce soit l’immobilisme politique, la langue de bois ou encore, la complexité des systèmes gouvernants, Jenkins n’hésite pas à évoquer la politique du monde réel et d’en étaler ses carences avec subtilité. D’autres thèmes sont, eux aussi, au cœur de cette histoire comme le rejet, la différence et le conditionnement à une classe prédéfinie.
Avec son pitch accrocheur et les thèmes de société abordés, Paul Jenkins construit un récit mature et pour tous publics : à la recherche d’une œuvre du catalogue Marvel qui ne se contente pas de proposer le énième affrontement entre un bad guy et un super-héros ? Tour d’Ivoire vous ravira ! L’envie vous prend de découvrir une nouvelle équipe de héros sans devoir effectuer des allers-retours incessants vers Wikipedia ? Tour d’Ivoire vous conviendra ! Vous désirez un récit avec plusieurs degrés de lecture abordant ingénieusement quelques thèmes sociaux et politiques ? Jetez-vous sur Tour d’Ivoire !
Et puis, c’est sans compter sur l’écriture qui s’appuie principalement sur l’introspection. Peu adepte de cette forme de narration, je dois bien admettre avoir été charmé par l’intelligence de l’auteur tant les dialogues intérieurs des personnages font mouche et constituent l’un des nombreux points forts du comic-book. Seule la répétition du contexte pourrait gêner les plus minutieux, mais mettons cela sur le dos du format originel, soit la forme épisodique, du récit édité au départ en maxi-série sous le label Marvel Knights.
Enfin, la dernière éloge que je me dois de faire envers ce comic-book concerne les dessins de Jae Lee. Pour ce récit sombre, l’artiste parvient à sublimer son trait et à se mettre au niveau qualitatif de son compère, Paul Jenkins.
En d’autres mots, Inhumans : Tour d’Ivoire représente un must-have sur base de son écriture intelligente, des thèmes abordés ou encore de ses dessins magnifiques et particuliers. Et c’est sans oublier le scénario captivant de Paul Jenkins où Flèche Noire doit faire face aux hommes qui attaquent sa nation à l’aide de chars et d’autres moyens militaires, à son frère, prêt à tout pour obtenir le trône d’Attilan et doit, bien-sûr, ne jamais laisser les émotions le submerger sous peine de laisser échapper un son qui pourrait détruire tous ceux qui l’entourent.
Note : 9/10
R.L.