La quête d’identité est l’affaire de tous. Les racines familiales, le quartier où l’on a grandi, la famille évidemment, les souvenirs, l’album photo de son enfance… Ces ingrédients de la vie nous offrent un aperçu de qui on est, de comment on est devenu cette personne que l’on observe tous les matins dans le miroir. Pour Charles Berberian, artiste incontestable de son époque, l’exercice est plus ardu. Fils d’une mère d’origine grecque et d’un père arménien, élevé en partie par sa grand-mère et par son frère au Liban, il deviendra le fruit d’un métissage de cultures. Et c’est précisément ce dont il est question dans son dernier roman graphique : Une éductation orientale.
Un roman graphique qui commence en France, lorsque Charles Berberian (Monsieur Jean, Journal d’un album) se retrouve, comme bien d’autres, cloisonné chez lui pendant la période du Covid. Les premières pages sont composées de photographies des rues parisiennes complètement vides et de dessins représentant les pensées, la vie et l’extérieur du lieu de vie de l’artiste. S’en suit une plongée dans ses souvenirs d’enfance au Liban. On y découvre sa famille, l’immeuble Tarazi où vivait la grand-mère qui l’a hébergé, ainsi que son frère, futur réalisateur de la Cité de la Peur et ami des Nuls.
Derrière ce travail de mémoire, l’artiste en profite pour passer en revue les événements historiques qui ont chamboulé le pays, et sa propre vie par la même occasion. Comme la guerre civile, qui débuta avec le massacre de navetteurs dans un bus, et qui aura été l’une des étapes marquantes de sa jeunesse. Berberian nous racontera alors, au travers de ses dessins, ses soirées passées à s’abriter dans le couloir, pièce plus éloignée des fenêtres que ne l’était le salon.
Évidemment, l’artiste partage aussi des souvenirs plus joyeux comme ces moments passés avec son frère, amoureux de cinéma, devant le grand écran ou encore, ces discussions pleines d’affection et de bon sens avec Yaya (« grand-mère » en grec), sans oublier ces baignades à la piscine ou allongé dans la chambre de son frère à écouter des disques…
Et tous ces petits événements à l’allure anecdotique formeront une trame dont l’aboutissement n’est autre que la création de l’identité de l’artiste que Charles Berberian est devenu aujourd’hui. Un artiste qui se plaît à utiliser la palette de matériaux qui s’offre à lui. Des photos, mais aussi des illustrations réalisées avec des « bics » (ou du moins ce qui y ressemble), des crayons à la mine tantôt grasse, tantôt aussi fine que possible ; certaines planches renvoient même à certaines techniques de peinture. Et pourtant, l’œuvre n’apparaît jamais comme un fourre-tout dénué de logique, mais bien comme un ensemble de petites choses, à la forme distincte, qui, entremêlées, accouchent d’une trame identitaire fascinante. Nous, lecteurs, tournons alors les pages pour découvrir ce qu’est devenu ce petit garçon dont la ville où il vécut pendant plusieurs années fut en proie à des conflits meurtriers, dont les parents se sont tenus à l’écart à cause de leur travail, dont la BD et la musique ont toujours constitué des biens précieux.
En d’autres termes, Une éducation orientale est un roman graphique à mettre entre toutes les mains. Une oeuvre personnelle, bourrée d’émotions, que son auteur transmet sans peine. D’abord déstabilisante par sa narration, à l’image d’un album photo rempli de souvenirs divers et variés, cette création se veut ensuite captivante grâce à son propos et sa forme. Déjà récompensé pour son talent, Charles Berberian signe ici un nouveau livre sur lequel il faudra compter.
Note : 9/10
R.L.