Un homme sans nom marche, observe et se lamente. Il arpente.
Autour de lui, des environnements invraisemblables s’imposent à l’horizon. Invraisemblables car il les entrevoit pour la toute première fois. En outre, il ne peut les comprendre, les concevoir et profiter de leurs apports. Car il n’est qu’un éboueur vivant sur une planète artificielle tandis que la Terre, celle que nous connaissons, a pris la fonction d’un immense dépotoir. Et c’est précisément là qu’a échoué notre arpenteur.
Cet histoire post-apocalyptique est à créditer à Viktor Hachmang, un artiste multifacette qui s’est déjà illustré dans le monde du jeu vidéo, celui de l’illustration, des comics… Ses études à l’Académie royale des beaux-arts de La Haye et ses expériences personnelles ont accouché d’un style graphique soigné et immersif. Parfois, grâce à un savant travail de couleurs, on aura tendance à y voir l’influence du génial Moebius (L’Incal…). Parfois, dans les visages, c’est celle du fantasque Otomo (Akira…) qui nous sautera aux yeux. Toutefois, les inspirations sont diluées dans la vision personnelle qu’Hachmang a conféré à sa création. L’auteur néerlandais parvient à mêler ses influences à son style propre pour créer des planches magnifiques, sublimes dans leur composition. Elles ont alors tôt fait de nous emporter dans cet autre monde qui n’est autre que notre Terre, aussi détériorée soit-elle.
La narration, quant à elle, marque elle aussi le récit à sa façon. On aurait presque envie de parler de poésie… L’arpenteur parle peu, très peu même. En effet, la plupart du temps, c’est une voix-off qui décrit ses faits et gestes, ses pensées, ses aspirations. Une voix-off qui n’est que celle du personnage principal, touché par ce qui lui arrive. C’est par son entremise que l’auteur met le doigt sur des sujets forts et profonds. A cet égard, la pollution truste la première place bien-sûr, mais juste derrière, on y trouve le rôle joué par les Hommes. Hachmang ne cherche pas d’excuse et renvoie l’humain sur le banc des accusés, incapable de s’arrêter de détruire malgré sa volonté et son intelligence. A côté de cette vision pessimiste et bien noire, on découvre d’autres thèmes tels que la survie, le besoin de rêver, celui de la solidarité, de l’importance du passé et de la connaissance qu’on en a. C’en est presque fabuleux : en quelques cases, Hachmang parvient à mettre le doigt sur nos dérives et à presser là où ça fait mal ; le tout avec une économie de mots et de péripéties débordantes d’action pure.
A sa manière, L’Arpenteur fait donc dans l’originalité, comme vous l’aurez compris. Et pourtant… Tout nous inspirait le contraire à la lecture de sa quatrième de couverture. Le synopsis et ses allures simplistes (la Terre est une décharge, un éboueur s’y échoue) et un sujet vu et revu (la pollution faite Homme) ne nous mettaient pas dans les meilleures conditions de lecture. Comme quoi, il n’y a rien de plus terrible que les préjugés… puisqu’avec cet ouvrage, l’artiste Viktor Hachmang nous emmène sans complexe dans son univers intrigant et des plus intéressants. Les variations de couleurs d’une saison à l’autre, le coup de crayon tantôt précis, tantôt volontairement plus hargneux , la narration originale… : tout contribue à un résultat auquel, on se doit de l’avouer, on ne s’attendait pas. En bref, L’Arpenteur est à réserver à un public qui aime lire l’art tout en profitant d’une bande dessinée méchamment critique sur la position de l’Homme dans son écosystème.
Note : 8/10
R.L.