Il y a des disparitions qui laissent un énorme vide. Celle d’Etienne Willem en fait partie, à n’en pas douter. Artiste au talent indéniable, l’homme aura réussi à nous immerger dans ses mondes imaginaires de la plus belle des façons, au travers de ses magnifiques dessins. Et pour vous décrire l’étendue du talent de ce dessinateur, nous avons choisi de chroniquer une intégrale sortie en 2021 : Les Ailes du Singe.
Harry Faulkner ne peut plus voler. Toutes les entreprises à s’y risquer sont privées d’opportunités, pour les plus chanceuses, et doivent mettre la clé sous la porte, pour les moins solides. Pourtant, Harry est un pro’. Il a été cascadeur aérien après avoir monté son propre cirque ou encore, pilote remarqué pendant la première guerre mondiale. Quoi qu’il en soit, en l’année 1933, cet amoureux du ciel n’a plus un sous et se voit refuser tout vol pour d’obscures raisons.
La première particularité de cette BD réside dans ses personnages. Harry est un singe et cotoye des éléphants, des chats, des tigres… et bien d’autres animaux ! En effet, là où Etienne Willem aurait pu livrer une histoire d’Hommes, il en a choisi autrement. À la manière de Blacksad, le monde est donc composé d’animaux antropomorphes. L’idée est riche et est à la base de planches magnifiques : les héros sont fièrement représentés, que ce soit en ce qui concerne leur visage et l’émotion qui s’en dégage, ou encore au niveau de leurs comportements dans le feu de l’action. Les couleurs rendent le tout vivant au possible, accélèrent le rythme pour les scènes dans le ciel, et adoucissent les moments plus calmes et contemplatifs. En bref, le graphisme parvient à charmer le lecteur par la beauté de la composition. C’en devient indescriptible tant tout s’agence parfaitement : le contexte de l’Amérique des années trente est rentranscrit avec brio (la prohibition, les ghettos qui se multiplient, les prouesses technologiques…), l’action est rythmée et même à couper le souffle, les personnages sont aussi beaux que charimastiques pour les uns, inquiétants pour les autres, et adorables pour d’autres encore.
Quant à l’histoire dans laquelle évolue tout ce beau petit monde, on ne peut décidement rien en dire de négatif. L’intégrale parue chez Paquet reprend les trois volumes de la série, et c’est un pari réussi. On passe d’une BD à l’autre sans interruption, sans ressentir le passage de l’une à l’autre. Ainsi, pendant 144 pages, on virevolte dans les airs avec Harry, on s’immisce également, à ses côtés, dans le monde de la pègre de 1930… Et on compte les morts. Car Les Ailes du Singe n’est pas à réserver aux enfants sur base de ses personnages antropomorphes. Pour preuve, plus d’un compagnon du héros périra. Des morts qui amèneront leur lot d’émotions et ajouteront leur pierre à l’édifice du scénario. D’ailleurs, que dire du scénario en tant que tel ? Captivant, émouvant, drôle… il n’y aura jamais assez de place dans cette chronique pour le décrire. Willem parvient à nous instiller de nombreuses émotions, celles qu’il a choisies avec son œil expert pour des séquences bien précises. Encore une fois, les protagonistes y sont pour beaucoup. Du côté des amis d’Harry, que ce soit Betty Laverne, la journaliste aux questions dérangeantes, ou Lumpy, un adorable mécano au caractère… de cochon!, chacun enrichit à sa façon une aventure haute en couleurs. Les péripéties sont fun à lire ; on ne dénombre aucune longueur, et le tout accouche d’un récit où l’on ne s’arrête que pour admirer les planches de l’artiste.
Comme si cela ne suffisait pas, les lecteurs de toujours y trouveront un côté rétro, nous renvoyant aux plus belles années du franco-belge. Cela grâce aux couleurs à l’aquarelle ou à la place de l’action omniprésente. Et puis, il ne faudrait pas omettre la simplicité évoquée dans le titre de cette chronique. Lire Les Ailes du Singe revient à ne pas se prendre la tête, mais plutôt à profiter d’un moment de détente, après une longue journée, et s’en réjouir, le sourire aux lèvres, tant tout, de la colorisation au trait, en passant par le scénario semble si simple à se mettre en place. On passe d’un vol en zeppelin à une scène d’action, d’une fusillade à un looping en plein ciel, d’une scène d’amour à une autre consacrée à l’humour sans qu’aucune ne fasse tache dans l’ensemble. Quel que soit notre ressenti, il est certain que le travail derrière une telle œuvre fut loin d’être simple, lui. On ne produit pas une si belle création en baillant aux corneilles.
Etienne Willem fut un artiste au talent indéniable, et ce n’est pas la bande dessinée Les Ailes du Singe qui nous fera mentir. Nous n’avons plus qu’une chose à en dire : chapeau ! Et encore merci pour tout, Monsieur Willem.
Note : 9/10
R.L.