La piste de l’Oregon… Un voyage entrepris par de nombreuses âmes, et ce malgré le risque omniprésent de rester sur le carreau. Portés par le rêve d’une vie meilleure qu’il serait possible de caresser en Oregon, les colons du XIXème siècle n’hésitaient pas à quitter leur contrée pour rejoindre la région du nord-ouest des futurs USA. Le prix à payer pour la traversée? La mort, bien trop souvent. En effet, entre les attaques d’Indiens, la maladie et la nature hostile, on raconte qu’un migrant sur dix mourrait pendant le terrible trajet de plusieurs milliers de kilomètres.
Et c’est là le sujet de la bande dessinée, La Piste de l’Oregon, éditée chez les éditions Kennes/Les 3 As et chroniquée en ces lignes. Notons que derrière ce titre, on retrouve des noms bien connus des lecteurs avec Corbeyran (Le Chant des Stringes, Elfe, L’Homme-Bouc…) et Krings (Violine, La Ribambelle…). Sans oublier Vera à qui l’on doit les couleurs de cet album.
Entrons donc dans le vif du sujet. Lors de cette lecture, nous découvrons un trappeur français, Pierre Charbonnier, et son épouse, Wakanda. Un binôme original qui aura pour mission d’escorter et de mener des convois de colons jusqu’en Oregon. Un job des moins aisés, surtout aux côtés d’individus aux passés et aux origines différentes qu’il leur faudra apprendre à cotoyer durant les longs mois de voyage prévus. Entre les caractères disparates qui s’affrontent et les dangers qui rodent autour du groupe, les moments de tension et de solidarité sont nombreux. Ceux-ci participent évidemment à l’ambiance du récit tout en offrant au lecteur de mieux connaitre les protagonistes. A cet égard, on appréciera le duo de tête composé du trappeur et de son épouse, une Indienne. Le paradoxe de ce couple original pour l’époque entrainera, lui aussi, son lot de conséquences. Entre les « blancs » qui s’ennuient et ne voient rien de mal à essayer de « violer un animal », ceux qui mettent en doute toutes les paroles de cette « peau-rouge », et le caractère fort de cette dernière, autant dire qu’il ne faudra que quelques étincelles pour mettre le feu aux poudres. Dès lors, quand Wakanda amènera un voleur de chevaux au sein du convoi, c’est tout le groupe qui réagira à sa façon. Et de façons souvent peu pacifistes…
S’enchaine alors une belle aventure, avec plusieurs rebondissements bien sentis et des dialogues toujours vivants et rythmés. La seule ombre au tableau, pour en rester dans la caractérisation des personnages, réside dans la création de certains de ces derniers. On tombe ainsi sur quelques pionniers bien-pensants aux côtés dequels voyagent des individus qui considèrent les Indiens comme des animaux. A ce niveau, on regrette donc l’absence de nuances dans leur personnalité au point d’avoir l’impression de rencontrer des méchants très méchants et des gentils bien gentils par moments.
Quant aux dessins, ils sont très agréables à l’œil! Ils permettent une lecture rapide, sans temps morts. Les décors, la caravane et l’ambiance sont tout bonnement réussis ! Avec son trait anguleux et épais, Krings nous délivre une bien belle partition graphique. Et si le cœur (ou la bourse) vous en dit, jetez-vous sur l’édition de luxe en noir et blanc où les détails dessinés par l’artiste vous sauteront d’autant plus aux yeux. En fait, notre seule incompréhension provient des couleurs. Vives et de belles factures, elles nous ont poussés à l’erreur. Pour être clair : elles nous ont aiguillés sur un à priori erroné, celui de classer cette histoire dans la catégorie des récits destinés à la jeunesse. Cependant, le racisme exacerbé se traduisant par des violences, et surtout des pendaisons, les tortures imposées aux personnes « noires » pour des motifs aussi futiles que pardonnables, et la tentative de viol sur une Indienne, ne sont que quelques exemples qui démontrent que La Piste de L’Oregon s’adresse avant tout à un public mature.
On ressort donc de cette lecture avec une joie modérée. Comme explicité en amont de cet article, l’aventure contée est plaisante et même captivante par moments. Les personnages, pour certains, sont judicieusement exploités et profitent d’originalités bien pensées quand d’autres, malheureusement, font part d’un dualisme un peu trop basique. Qu’il en soit ainsi, La Piste de L’Oregon n’en reste pas moins une œuvre des plus intéressantes qu’il nous plaira de relire à l’occasion. Avec elle, le lecteur plongera en plein Far West et découvrira un pan important de l’Histoire des Etats-Unis avec ce qu’il faut de divertissement, de suspense et de rebondissements.
Note : 7/10
R.L.