Comment entrer dans l’univers de la BD avec Thimothée Montaigne

1629, ou l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta, Julius – Le Troisième testament ou encore The Witcher : Le Sorceleur Illustré ont permis au dessinateur, T. Montaigne, d’acquérir ses lettres de noblesse et de trouver son public. Preuve en est lors de notre arrivée à Charleville-Mézières avec une belle file de fans impatients d’échanger quelques mots avec l’artiste et d’obtenir une belle dédicace. C’est un homme affable, d’une bonne humeur contagieuse qui nous accueille, prêt à répondre à nos questions et à passer en revue sa carrière et son point de vue sur la bande dessinée.

Bonjour Thimothée Montaigne, vous êtes aujourd’hui un artiste confirmé grâce, notamment, à votre travail sur 1629, ou l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta. Ce qui explique votre présence dans l’espace dédicaces du festival de la BD du Cabaret Vert. Comment allez-vous ?

Très bien, merci. Je passe un excellent moment. Je retrouve des amis comme Sébastien Grenier (Orcs & Gobelins, Arawn, La Cathédrale des Abymes…) et le public est chaleureux. C’est toujours plaisant de discuter de son travail avec des connaissances et des fans. Et puis, le cadre est très sympa. Depuis plusieurs années, on me vantait l’accueil du Cabaret Vert, j’ai fini par venir pour me forger mon propre avis.

Une véritable aubaine pour le public tant on ne vous voit pas souvent en festival.

Je ne suis pas un artiste qui passe d’un festival à l’autre. Ma priorité va aux libraires lorsque ceux-ci organisent des séances de dédicaces. Pour le Cabaret Vert, j’ai accepté de m’y rendre en découvrant l’affiche. Mes amis du monde de la BD avaient déjà confirmé leur présence, j’ai donc sauté sur l’occasion pour les revoir.

Aujourd’hui, vous avez déjà une belle carrière à votre actif et, vous le dites, un réseau d’amis au sein du 9ème art. Comment cette belle histoire, la vôtre, a-t-elle commencé ?

La réponse courte : un peu par hasard. Plus sérieusement, je suis originaire de Roubaix et j’ai toujours apprécié le dessin. J’ai donc entrepris mes études à Tournai, dans l’école d’art de Saint-Luc. Après quoi, j’ai quitté la maison de mes parents et j’ai enchainé les petits boulots. Ensuite, je suis revenu au dessin. Ma pensée était très simple : j’aimais dessiner et je me disais qu’en vivre serait plaisant. J’ai donc repris les études, à Nantes cette fois, à l’école Pivaut.

C’est de là qu’a surgi votre ambition d’entrer dans le monde de la BD ?

Même pas ! A ce moment-là, l’univers de la bande dessinée m’était encore très obscur. Je n’en connaissais ni les marchés, ni le fonctionnement de l’édition… Donc, pour vivre de mon art, j’ai recherché un métier porteur et me suis dirigé vers l’animation. Ça me semblait plus logique comme parcours pour gagner ma vie. Et ce n’est qu’ensuite que j’ai découvert la BD, des auteurs, les possibilités du média et du secteur. Mon parcours scolaire s’est d’ailleurs très bien terminé puisqu’un membre de la Maison d’Edition Soleil était présent dans le jury de fin d’études. C’était le début de ma carrière…

Une carrière forte de succès…

J’ai d’abord connu l’échec scolaire. L’échec m’a permis de devenir celui que je suis. Quand on passe par des périodes difficiles, cela marque et influence la personnalité. Je sais, comme tout le monde, que la bande dessinée est un secteur élitiste. Il faut du talent et travailler encore et encore. On ne perce pas dans ce métier par chance uniquement, encore moins si la persévérance ne fait pas partie de votre ADN. C’est un domaine extrêmement dur. Je ne connais personne à l’heure actuelle qui flemmarde au sein de mon réseau de contacts. Le métier d’artiste demande beaucoup d’efforts ; c’est une progression permanente.

Vous avez parlé de votre amour du dessin mais à vous écouter, on a l’impression que le côté ardu du métier déséquilibre la balance… Paradoxalement, votre passion pour le secteur est palpable.

En effet ! Oui, c’est un métier difficile, mais aussi un métier où la liberté prime. De mon point de vue, la bande dessinée franco-belge de genre est l’un des derniers espaces de liberté. Je suis très attaché à cela. Le mode de narration du support offre énormément de possibilités. Je ne suis pas dépendant du sujet de la BD sur laquelle j’œuvre à un moment donné. Moi, ce qui me passionne, c’est l’histoire que raconte le dessin, pas le dessin en tant que tel. D’où mon intérêt…

Et puis, avec vos débuts sur Julius – Le Troisième Testament, peut-on estimer que vous avez encore gagné en liberté ?

Ce premier pas dans le métier fut vraiment positif pour moi. D’abord, car je me retrouvais à travailler avec une équipe que j’apprécie (NDLR : scénarisé par Alice Alex). Ensuite, car ce premier job m’a permis d’acquérir un certain poids vis-à-vis de mon éditeur. Donc, comme vous l’avez dit, j’ai encore gagné en liberté. La BD du Troisième Testament fonctionnait bien, elle générait de l’argent. J’ai donc eu le luxe de refuser d’autres projets qui ne m’attiraient pas. On en revient à la liberté…

Penchons-nous sur 1629, ou l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta. Quelles étaient vos affinités avec cette histoire avant de vous lancer dans le projet ? Qu’est-ce qui vous y a attiré ?

Honnêtement, je n’y connaissais rien. Les univers maritimes ne faisaient pas partie de mes sujets de prédilection. Et si la BD traite d’abord de la soumission, c’est le rapport à la violence qui m’a plu. Le poids des vies, les relations humaines, les conséquences des actes… J’aime raconter cela dans mon dessin. Et 1629,… réunissait toutes ces thématiques.

Votre dessin a contribué au succès de cette œuvre. À l’heure où les artistes de bande dessinée font part de leurs inquiétudes vis-à-vis du secteur (salaire, financement…), quel est votre avis à ce propos ?

Je gagne convenablement ma vie. Je suis loin d’être riche, mais je le suis en ce qui concerne ma liberté (rires). Et ce sentiment passe avant le salaire pour ma part. Je pourrais gagner plus d’argent dans d’autres créneaux artistiques mais la liberté qu’offre la bande dessinée franco-belge de genre influence mon choix.

Quant à 1629,…, l’ouvrage reste quand même une parenthèse enchantée. On a vraiment réalisé un livre réfléchi en ciblant notre public. Le premier volume plait énormément aux lecteurs, il se vend bien, l’éditeur y a cru… mais cela ne veut rien dire pour la suite. Je connais de grands auteurs, des dessinateurs avec des parcours sensationnels qui, aujourd’hui, sortent des BD qui ne marchent pas… On vit avec un sentiment d’incertitude constant.

Un sentiment qui ne vous a pas empêché de proposer ce qui, à nos yeux, constitue votre œuvre la plus aboutie (NDLR : 1629, ou l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta).

J’aime affirmer que c’est ma première bande dessinée. Par ces mots, je veux dire que j’ai acquis une certaine maturité que j’ai essayé de transmettre au fil des pages. J’ai participé à de nombreux projets avant celui-là mais il me manquait de l’expérience, une identité palpable… ce qu’à l’inverse, on retrouve dans ce 1629,…

Quel a été l’étape qui vous a permis de créer votre identité et de gagner en maturité ?

Ce cap, je l’ai passé en peignant lors de la conception de The Witcher : Le Sorceleur Illustré. Pour ce projet, on m’a demandé de fournir des peintures à l’huile représentant les moments phares du premier volume de l’univers du Sorceleur. Durant cet exercice, j’ai  appris à apprécier d’autant plus mon art.

Auparavant, lorsque je dessinais des bandes dessinées, j’avais toujours l’impression d’avoir un caillou dans ma chaussure. Impossible de savoir si ce « caillou » se trouvait dans la main qui maniait le crayon ou dans l’esprit qui contrôle cette main. Alors qu’avec la peinture, j’avais le sentiment d’avoir déniché mon médium d’expression tellement chaque geste profitait d’une fluidité sans égal. Autrement dit, en peignant The Witcher : Le Sorceleur Illustré, ce caillou n’existait pas. Dès lors, quand je suis revenu vers la BD après cette parenthèse, j’ai recherché cette fluidité qui me faisait défaut. Je tenais à retrouver ces sensations. Je me suis alors posé beaucoup de questions, j’ai recherché des process de dessins, j’ai changé ma façon d’encrer et de dessiner… et ça a payé ! The Witcher a donc bel et bien constitué un cap pour ma progression en bande dessinée.

L’illustration, la peinture, le dessin… Comptez-vous rester dans le domaine de la bande dessinée jusqu’à la fin de votre carrière ?

Honnêtement, je n’en sais rien. Comme je le disais précédemment, ma priorité réside dans la liberté. Et puis, selon moi, le secteur de la bande dessinée franco-belge de genre est mourant. Je ne le vois pas survivre bien longtemps. Il suffit de s’intéresser aux tendances actuelles pour s’en rendre compte. De nos jours, les plus jeunes ne jurent que par les mangas. Je trouve d’ailleurs formidable cette forme d’expression et de narration, bien qu’elle contribue au déclin de la BD franco-belge de genre.

Pourquoi ? Quel est votre avis sur le manga ?

La différence majeure entre la bande dessinée franco-belge de genre et le manga réside dans l’angle choisi concernant la narration. Pour la première, on sert principalement l’intrigue. Tandis que pour les publications japonaises, l’angle principal est axé sur le ou les personnage(s). Ensuite, la forme diffère également. Le manga montre tout au lecteur grâce à un mode de narration très cinématographique. Il autorise un sur-découpage par sa pagination. À l’inverse d’une bande-dessinée franco-belge de genre où l’artiste est limité par le format. Il est donc indispensable de synthétiser le propos et de raconter des événements entre les cases. Le lecteur doit donc plus s’investir dans la lecture afin de comprendre l’intrigue dans son ensemble. Et comme nous sommes dans une époque où le temps long n’est plus à la mode, les mangas ont le vent en poupe au contraire de la BD franco-belge de genre. Aujourd’hui, on vit des émotions incroyables en pressant les boutons de nos manettes de consoles de jeux, de nos télécommandes… Alors que pour une BD comme 1629, il faut prendre du temps et faire des efforts.

C’est un avis assez pessimiste. Cela veut-il dire que vous pensez déjà à arrêter votre carrière dans un future proche ?

Pas du tout ! Je m’accroche à la bande dessinée autant que je le peux. J’aime ce média, je suis passionné. J’espère pouvoir travailler en BD le plus longtemps possible et conserver toute la liberté que j’ai acquise.

C’est tout ce que l’on peut vous souhaiter ! Merci beaucoup pour cette interview.

Merci à vous et bon festival !

(Merci à Thimothée Montaigne pour sa gentillesse et ses réponses, ainsi qu’à toute l’équipe média du Cabaret Vert qui a permis cette interview.)

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